Le shifting fascine les ados. Découvrez ce phénomène, ses risques et comment l’aborder avec bienveillance en tant que parent.

Le shifting est un phénomène qui intrigue de nombreux parents.

Si votre adolescent vous parle de « réalités alternatives » ou s’il semble s’immerger longuement dans un univers imaginaire, il pratique probablement le shifting.

Cette pratique mentale, très populaire sur TikTok, suscite de nombreuses questions.

Vous vous demandez peut-être si c’est un simple jeu, un signe d’évasion, ou un risque pour sa santé mentale.

Avant tout, soyez rassuré·e : dans la majorité des cas, le shifting n’a rien d’alarmant. Il s’inscrit dans une recherche d’évasion, de contrôle ou d’identité.

Comme toujours, comprendre ce que vit votre enfant est la première étape pour l’accompagner avec bienveillance. Explorons ensemble ce qu’est le shifting, ses origines, ses manifestations, ses impacts et les façons d’agir en tant que parent.

Qu’est-ce que le shifting ?

Le shifting, contraction de reality shifting, désigne un processus mental par lequel une personne tente de déplacer sa conscience vers une « réalité désirée ». Il ne s’agit pas simplement de rêver ou de s’évader par l’imaginaire. L’intention est plus structurée : il s’agit de « vivre » une autre réalité, souvent inspirée d’univers fictifs ou idéalisés.

De nombreux adolescents décrivent ces expériences comme profondément immersives, avec des sensations corporelles, des émotions intenses, voire un sentiment d’absence au monde réel.

Ces récits rappellent, à bien des égards, les états modifiés de conscience explorés en sophrologie. Comme dans les techniques de visualisation, le pratiquant mobilise ses sens, son imaginaire et sa concentration pour induire une forme de réalité intérieure. Il se projette activement dans une scène précise, qu’il a souvent scriptée à l’avance, comme on préparerait une visualisation en sophrologie.

Mais contrairement à cette dernière, le shifting ne vise pas explicitement un objectif thérapeutique ou de bien-être. Il repose avant tout sur le désir de changer d’univers, d’échapper au quotidien ou d’explorer une autre version de soi.

Les origines du phénomène

Le shifting s’est fortement popularisé en 2020, dans le contexte de la pandémie. Cette période, marquée par l’isolement, l’incertitude et la perte de repères, a vu émerger une quête collective d’évasion, notamment chez les adolescents. En passant de plus en plus de temps sur TikTok, YouTube ou Reddit, ces derniers ont découvert des communautés centrées sur le shifting. Les tutoriels se sont multipliés. Les témoignages ont circulé. Une culture du shifting s’est installée.

Derrière cette tendance, on retrouve des besoins psychologiques fondamentaux : le besoin de contrôle, d’appartenance, de sécurité émotionnelle. Face à une réalité vécue comme incertaine, voire oppressante, créer une réalité idéale devient un mécanisme de défense autant qu’un espace de liberté.

Comment les adolescents pratiquent le shifting ?

Les adolescents qui pratiquent le shifting suivent souvent un rituel bien établi. Ils commencent par se placer dans un environnement calme, propice à la détente. Puis ils ferment les yeux, écoutent une musique douce, parfois des sons subliminaux, et se concentrent sur un scénario mental précis. Ce scénario, appelé « script », contient les détails de leur réalité désirée : lieux, personnages, règles du monde, caractéristiques physiques, etc.

La phase suivante consiste à induire un état de conscience modifié. Ce processus rappelle celui de l’auto-hypnose. Comme dans cette dernière, l’adolescent entre dans un état de relaxation profonde, souvent induit par la respiration, la répétition mentale ou des suggestions internes. Il peut, par exemple, visualiser un escalier qu’il descend lentement, ou une lumière qui envahit son corps. L’objectif est d’atteindre un seuil de concentration où le corps est détendu mais l’esprit, lui, reste actif et orienté vers la réalité choisie.

Certaines méthodes sont devenues emblématiques sur les réseaux sociaux, comme la méthode du corbeau ou la méthode Alice. Toutes visent à reproduire un protocole immersif qui permettrait à la conscience de « basculer » dans une autre réalité. Si l’expérience est réussie, l’adolescent peut ressentir un sentiment de flottement, de détachement, voire d’éveil dans l’univers imaginé.

Shifting et construction psychologique à l’adolescence

À cette période de la vie, l’adolescent traverse une série de transformations psychologiques, émotionnelles et sociales. Il cherche à comprendre qui il est, ce qu’il ressent, où il appartient. Le shifting peut être perçu comme une réponse temporaire à ces tensions internes.

En explorant une version idéalisée de lui-même dans un autre monde, l’adolescent expérimente des identités alternatives. Il peut s’autoriser à être plus sûr de lui, plus libre, ou plus accepté. Cette démarche, bien que fictive, participe à la construction de l’estime de soi. Elle lui permet aussi d’exprimer des désirs ou des conflits internes de manière symbolique.

Certaines études récentes, comme celle publiée en 2021 dans le Journal of Adolescent Health, montrent que ces formes de visualisation peuvent avoir un effet régulateur sur les émotions. Elles permettent de mettre à distance le stress, l’angoisse, ou le sentiment d’impuissance. À condition, bien sûr, que la pratique reste encadrée.

Les impacts du shifting sur le bien-être des adolescents

Les effets du shifting ne sont ni exclusivement positifs, ni nécessairement dangereux. Ils varient en fonction de la fréquence de la pratique, de l’état psychologique de l’adolescent, et du contexte dans lequel elle s’inscrit.

Dans de nombreux cas, le shifting est vécu comme une activité ludique et créative. Il offre une forme de réconfort, renforce l’imaginaire, et permet de traverser des périodes difficiles avec plus de souplesse. Pour certains adolescents, il joue un rôle comparable à celui de l’écriture ou du jeu de rôle : une forme d’expression de soi.

Cependant, il existe des risques potentiels. Lorsque le shifting devient la seule manière de faire face au réel, il peut renforcer des mécanismes d’évitement. L’adolescent peut se couper de ses responsabilités, fuir ses relations sociales, ou développer une forme de dépendance à cette réalité parallèle. Dans certains cas, des troubles du sommeil ou une confusion entre réel et imaginaire peuvent apparaître, notamment si la pratique est intensive.

Le Dr Rachel Kowert, spécialiste des environnements immersifs, alerte sur ces dérives possibles. Elle souligne que le vrai danger réside dans l’incapacité à affronter les défis de la vie réelle. Si le shifting devient une échappatoire systématique, il peut ralentir le développement de compétences émotionnelles essentielles.

Comment les parents peuvent réagir ?

Face au shifting, l’attitude la plus constructive reste l’ouverture et le dialogue. Plutôt que de critiquer ou d’interdire, il est plus efficace de s’informer, puis de poser des questions sincères à votre adolescent. Que recherche-t-il dans ces expériences ? Que ressent-il ? Comment vit-il sa réalité quotidienne ?

En adoptant une posture d’écoute, vous créez un espace de confiance. Vous pouvez ainsi mieux comprendre ce qui se joue derrière la pratique. Est-ce une simple curiosité ? Une manière de gérer le stress ? Un refuge face à un mal-être plus profond ?

Si vous observez une intensification de la pratique, un isolement social ou des troubles du comportement, il peut être utile de consulter un professionnel. Un psychologue spécialisé en adolescence pourra évaluer si le shifting masque une problématique plus sérieuse.

Dans tous les cas, rappelez à votre enfant que son imaginaire est une richesse. Mais que le monde réel, aussi imparfait soit-il, mérite lui aussi d’être exploré, compris, et investi.

Shifting : un phénomène révélateur d’un besoin d’évasion

Le shifting, bien qu’encore peu étudié en profondeur, révèle une tendance sociétale plus large : le besoin, pour les adolescents, de créer un espace mental à eux. Un lieu où ils peuvent exister autrement. Un espace où ils ne sont pas jugés, où ils peuvent expérimenter, rêver, et parfois guérir.

En tant que parent, il ne s’agit pas de nier ce besoin, mais de l’accompagner. En discutant avec bienveillance, en posant des limites saines, et en encourageant aussi des activités réelles, vous aidez votre enfant à garder un équilibre entre ses mondes intérieurs et extérieurs.

Conclusion

Le shifting n’est pas une pathologie. Il n’est pas non plus une simple mode. C’est un miroir, souvent symbolique, des tensions que vivent les adolescents. Comprendre le shifting, c’est comprendre un peu mieux leurs désirs, leurs fragilités, et leur quête de sens.

En leur offrant un cadre bienveillant, vous leur montrez qu’ils peuvent explorer leurs rêves… tout en gardant les pieds sur terre.