Les gadgets de la sophrologie : aide ou danger ?

Aujourd’hui, je vous propose une réflexion sur ce que j’appelle les gadgets de la sophrologie, dont l’offre explose.

Qu’ils soient sous forme de cartes, de packs, d’enregistrements, de méthodes ou sous toute autre forme, tous reposent globalement sur les mêmes promesses.

Mais, derrière l’aspect ludique – et souvent très esthétique – de ces gadgets, en mesurons-nous vraiment les effets et les conséquences ?

Que savons nous objectivement de leur intérêt ? Quel est l’influence de ces gadgets sur nos pratiques aujourd’hui et surtout pour demain ?

Tentative de définition du gadget

Protéiforme par nature, le gadget est assez difficile à définir. Cependant, si l’on prend du recul sur l’ensemble des offres faites aux sophrologues comme au pratiquants, on peut identifier un certain nombre de caractéristiques communes.

Le poison distillé

Ainsi, les gadgets sont-ils toujours présentés comme nouveaux et surtout utiles. On se demande même comment il était possible de vivre sans et pourquoi le Dr Caycédo n’y a pas pensé dès le début ! De plus, si la cible (marketing) auquel ce gadget se destine sont les enfants, il sera obligatoirement ludique, gai et coloré.

Cependant, ces caractéristiques ne sont qu’annexes. En effet, ce qui fait toute la valeur d’échange, c’est à dire le prix que vous êtes prêt à payer pour ce gadget, c’est la promesse sur laquelle il repose.

En effet, quels qu’en soient la forme et les arguments. Qu’ils ciblent les sophrologues ou les pratiquants, les promesses du gadget se résument souvent à celles d’un « bon exercice » et de la réussite à tout coup. Mais de quelle réussite ?

Dans un autre ordre d’idée, pour le sophrologue, le gadget se positionne aussi comme une réponse aux angoisses primaires du vide et de l’échec. On lui attribue une influence bénéfique. Il vous apporte le sentiment de disposer de capacités supplémentaires. Il fait de vous un sophrologue plus performant, à la pointe des pratiques.

Bref, pour le pratiquant comme pour le sophrologue, le risque est que le gadget devient fétiche au sens propre du terme et avec les conséquences que nous détaillerons plus loin.

Par ailleurs, gardons en mémoire que nous sommes face à une économie – car le gadget à un coût – qui ne repose sur rien de rationnel ni de factuel. C’est un faux besoin qui vous fait adopter le gadget. Un besoin qui repose sur des suppositions négatives ou, pire, sur le syndrome de l’imposteur.

Les effets du gadget sur la pratique

La tentative de définition que nous venons de faire du gadget nous montre qu’il possède la caractéristique singulière d’être inutilement indispensable.

En effet, si l’on détaille les promesses du « bon exercice » et du « sésame anti-échec », on se rend compte que ces gadgets nous procurent des impressions bien définies :

  • Une impression de simplification de nos pratiques. La normalisation et le nivellement apporté par le cadre, le support ou la méthode nous rassurent. Ils donnent l’impression de supprimer les obstacles et d’assurer une répétabilité confortable.
  • L’illusion du gain de temps. Pour le professionnel, l’existence de ces supports nous libère des recherches longues et fastidieuses. Ils évitent les phases de réflexion et de constructions. Plus de temps, c’est aussi l’illusion de plus d’activité. Pour le particulier, c’est la facilité d’une pratique calibrée qu’il peut planifier.

Un autre effet plus global du gadget est celui de la création de nouvelles communautés. Notre profession présentait déjà  un morcellement historique. Les courants puis les écoles et les syndicats nous séparaient déjà en groupes plus ou moins fermés. Aujourd’hui, ces gadgets viennent ajouter un tropisme identitaire.

Tropisme identitaire

Ainsi, pour les professionnels persuadés du sentiment de « pureté » de la pratique engendrée par le gadget, comme pour les utilisateurs, une différenciation entre celui qui pratique le même gadget et « l’autre » se développe. Cette fracture se manifeste directement par un sentiment d’appartenance à un groupe spécial, qui dépasse les autres.

Par exemple, pour certains professionnels, nous ne sommes plus madame X ou monsieur Y, sophrologues. Nous devenons, « référent de la méthode », « professionnel certifié ». Notre personnalité, ce qui fait notre originalité, nos singularités, sont absorbées et gommées.

Nous créons une identification sociale par rapport à une méthode plus que par sa propre personnalité. Nous devenons l’hôte, le porteur d’une méthode, d’une pratique et d’un objet dont la construction nous est totalement extérieure.

Dans un autre ordre d’idée, certains de ces gadgets sont très bien pensés pour nous soumettre volontairement. Nous en sommes tellement dépendants que nous nous précipitons sur la moindre mise à jour ou extension.

N’y a-t-il pas là un questionnement intéressant sur la différenciation entre notre métier, ce que nous apportons… et qui nous sommes, comment nous agissons ?

Le poison distillé

Derrière son aspect ludique, nouveau et pratique, les gadgets ont donc des impacts sur nos pratiques. La première étant, comme nous venons de le voir, un risque de soumission à l’objet fétiche.

Le poison

De même la multiplication et l’utilisation systématique de ces gadgets ne peuvent qu’entraîner une réification de nos pratiques : la chose, le gadget, le fétiche remplace la pensée et l’analyse.

Au-delà de la déshumanisation de nos pratiques, le gadget entraîne également une régression de ce qui fait notre personnalité. En effet, le gadget nous sert de bouclier contre l’imprévu et la peur de réfléchir par soi-même.

Nous connaissons bien ce phénomène dans le domaine de la formation. Nous avons toutes et tous lu ces échanges dans lesquels des collègues nous expliquent qu’une séance doit absolument être structurée en « n » parties, contenir tel, tel et tel élément articulés selon des schémas bien précis… Le processus quasi industriel et la mise en équation ont remplacé l’adaptabilité et la réalité objective.

De fait, nous cessons de nous construire au fil des difficultés et des échecs. Le risque est, à ne plus développer nos sensibilités, d’arriver à un appauvrissement et une stérilisation de la pratique.

Nous devenons des robots qui répéteront des schémas établis par d’autres. Ce qui les placent de fait comme supérieurs à nous puisque nous acceptons la soumission à leurs directives et injonctions au sein de communautés fermées. Et cela sans autres justifications que nos propres peurs de ne pas savoir faire.

S’il fallait encore un argument pour démontrer cette soumission volontaire, combien de ces gadgets ont fait l’objet d’étude sérieuse et peuvent apporter, de façon extérieure et scientifique, la preuve de leur efficacité ?

Appel à la raison

En conclusion, il faut rappeler qu’en sophrologie, comme ailleurs, le gadget ne doit pas devenir fétiche. Il doit conserver sa place d’objet, d’outil.

Notre métier est un métier d’écoute, tourné vers la personne, l’intentionnalité, la réalité objective, la confiance. Bref, vers l’humain et le ressenti. Aucun de ces éléments ne nécessite de béquille ni d’artifice.

Nous avons toutes et tous ressenti ces angoisses de l’échec. De savoir si nous serions à la hauteur des attentes. S’appuyer sur un gadget pour y arriver n’est pas la solution. Il ne fait que nous enfermer dans une vision ou une pratique qui, pour être largement utilisée, se rapproche souvent du plus petit dénominateur commun.

À l’opposé, misez sur vous. Confrontez-vous aux difficultés, aux erreurs, aux échecs. Abandonnez vos croyances limitantes. Pensez, analysez, trompez-vous, partagez, construisez vos propres outils. Cela fera de vous des personnes uniques tout en enrichissant vos pratiques.

Si « l’humain » disparaît de la relation, pourquoi ne pas utiliser l’un de ces nombreux appareils qui existent déjà et qui proposent des séances toutes faites ? Répondra-t-il aux besoins ? Aux plus basiques certainement, mais jamais comme pourrait le faire un sophrologue qui a su développer son expérience.