Empathie, altruisme et compassion

Par Matthieu Ricard le 22 avril 2016

On peut définir l’amour altruiste comme « le désir que tous les êtres trouvent le bonheur et les causes du bonheur. »
Ce désir altruiste s’accompagne d’une constante disponibilité envers autrui alliée à la détermination de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider chaque être en particulier à atteindre un authentique bonheur. Le bouddhisme rejoint sur ce point Aristote pour qui « aimer bien » consiste à « vouloir pour quelqu’un ce que l’on croit être bien » et « être capable de le lui procurer dans la mesure où on le peut. » (1)

La compassion est la forme que prend l’amour altruiste lorsqu’il est confronté aux souffrances d’autrui. Le bouddhisme la définit comme « le souhait que tous les êtres soient libérés de la souffrance et de ses causes ».

Cette aspiration doit être suivie de la mise en œuvre de tous les moyens possibles pour remédier à ces tourments.
L’empathie est la capacité d’entrer en résonance affective avec les sentiments d’autrui et de prendre conscience cognitivement de sa situation. L’empathie nous alerte en particulier sur la nature et l’intensité des souffrances éprouvées par autrui. On pourrait dire qu’elle catalyse la transformation de l’amour altruiste en compassion.

L’amour altruiste doit considérer lucidement la meilleure façon d’accomplir le bien des autres. L’impartialité requiert de ne pas favoriser quelqu’un simplement parce qu’on éprouve à son égard plus de sympathie que pour une autre personne qui se trouve également, voire davantage, dans le besoin.

Cette extension comporte deux étapes principales : d’une part, on perçoit les besoins d’un plus grand nombre d’êtres, tout particulièrement ceux que l’on avait considérés jusqu’alors comme des étrangers ou des ennemis. D’autre part, on donne de la valeur à un ensemble d’êtres sensibles beaucoup plus vaste, qui dépasse le cercle de nos proches, du groupe social, ethnique, religieux, national qui est le nôtre, et qui s’étend même au-delà de l’espèce humaine. (2)

Il est intéressant de noter que Darwin a non seulement envisagé cette expansion, mais qu’il la jugeait nécessaire. Il utilisait le mot sympathie dans le sens de bienveillance : « La sympathie, pour les causes que nous avons déjà indiquées, tend toujours à devenir plus large et plus universelle. Nous ne saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fît une loi, sans porter préjudice à la plus noble partie de notre nature. » (3)

Qu’est ce que l’empathie ?

L’empathie est un terme de plus en plus fréquemment employé, aussi bien par les scientifiques que dans le langage courant et il est souvent confondu avec l’altruisme et la compassion.

Le mot empathie recouvre en fait plusieurs états mentaux distincts. Le mot empathie est une traduction du mot allemand Einfühlung qui renvoie à la capacité de « ressentir l’autre de l’intérieur ». Il fut utilisé pour la première fois par le psychologue allemand Robert Vischer en 1873 pour désigner la projection mentale de soi-même dans un objet extérieur — une maison, un vieil arbre noueux ou une colline balayée par les vents — auquel on s’associe subjectivement. (4)

À sa suite, le philosophe Théodor Lipps étendit cette notion pour décrire le sentiment d’un artiste qui se projette par son imagination non seulement dans un objet inanimé mais aussi dans l’expérience vécue d’une autre personne.

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